Je suis une
femme de 43 ans, maman de deux enfants incroyables, en amour depuis 20 ans avec
mon merveilleux Martin et professionnelle de recherche dans le domaine de la
santé. J’étais, jusqu’en août 2018, considérée comme survivante d’un cancer du
sein que j’avais traité du mieux possible, alors que mon garçon
n’avait pas encore un an (en 2012), par des traitements de chimiothérapie, de
radiothérapie et d’hormonothérapie, par une mastectomie et finalement une
reconstruction mammaire.
Lors de cette épreuve, j’avais pris l’habitude d’informer
ma famille et mes amis des différentes étapes que je vivais et de mon état (de
façon honnête et aussi humoristique que possible) via un blog personnel. J’y relatais d’une part les petits accros organisationnels rencontrés et
les étranges cheminements bureaucratiques empruntés et d’autre part, les fantastiques
ressources qui se cachent dans notre grand réseau de santé et les merveilleuses
personnes humaines qui j’y ai croisées. Mes écrits dénotaient déjà l’importance
de prendre en main son propre dossier médical, de faire valoir ses choix et ses
droits, de se tenir le plus informée possible, de poser autant de questions
qu’il est nécessaire pour se sentir rassurée et de garder toujours espoir.
Puis la vie a continué. Un an, deux ans, cinq ans. Les enfants ont grandi, les peurs se sont évanouies, la routine s’est réinstallée.
De mars 2018
au début septembre 2018, j’ai mal au dos, aux hanches et aux jambes, un mal subtil,
qui ne cesse de croître de jour en jour pour finalement devenir totalement
intolérable. Après avoir faire un scan, consulté deux ostéopathes, deux physiothérapeutes,
trois médecins, un chiropraticien, une massothérapeute et une acuponctrice, je
me présente aux urgences de mon hôpital de quartier en chaise roulante car je
n’arrive plus à me tenir debout sans hurler de douleur. Un nouveau scan et huit
heures plus tard, une jeune urgentologue bien organisée, Dre Dufour, m’informe,
sans grand détour et avec le support moral d’un épouvantail, que mon dos et mes
hanches sont envahis par les métastases. TCHAKKK! une météorite effrayante s’abat sur
ma famille et sur moi. En l’espace d’un moment, je passe de patiente en
rémission à condamnée à une morte trop prochaine. Mes enfants n’ont alors que 7
et 9 ans. Mon nouveau diagnostic est sans
appel : cancer du sein métastasique (stade 4) avec métastases au dos, au bassin
et aux poumons. Cette récidive complètement inattendue est vécue comme un
abominable drame d’une injustice incompréhensible pour la maman que je suis.
Le lendemain,
assise dans ma chaise roulante, je vois un oncologue, Dr Pearson, pour débuter
l’analyse de mon dossier, et un orthopédiste, Dr Amzica, pour évaluer l’état de
mes jambes et mon dos. Verdict radical de
ce dernier : « Vous avez de multiples petites fractures au bassin et à la
colonne, ainsi qu’une fracture majeure à la hanche droite ». Entre deux
soubresauts, j’ose lui demander ce qu’il peut faire pour m’aider. Sa réponse
résonne encore dans ma tête : « Vous êtes mieux de vous habituer à
votre chaise roulante car elle sera votre meilleure amie pour les jours qu’il
vous reste à vivre. » TCHAKKK! Et pour éviter une seconde question et
m’expliquer encore plus clairement la situation, il ajoute : « Les os
rongés ainsi par les métastases ne se réparent pas par eux-mêmes. Il m’est
impossible de vous opérer car les os autour de votre hanche sont en trop
mauvais état. Il aurait fallu venir plus tôt... » TCHAKKK! TCHAKKK! Et
RETCHAKKK! Je suis cassée. Triplement brisée en deux. Une faille dans mon
corps, une autre dans mon cœur et une dans mon âme.
Mi-septembre 2018
Après les
durs premiers jours de vie en chaise roulante, les douloureux regards de mes
enfants paniqués, les premiers traitements de chimiothérapie et le partage
insoutenable de ces mauvaises nouvelles avec mes proches, mon espoir remonte à
la surface et me pousse à demander un nouveau rendez-vous avec le dit orthopédiste
auquel j’ai par hasard été assignée. Il
ne me reste que peu de jours à vivre, peut-être 900, peut-être 3000, mais
peut-être 82. Aucun pronostic ne peut être émis. Mais j’aimerais tant pouvoir
profiter de chacune de ces journées avec mes enfants comme la maman que j’ai
toujours été. Je ne suis pas encore morte. Et je refuse qu’une partie de moi
encore utile (mes jambes) meurent avant le reste. Malgré ma petitesse et mon
anonymat, je le supplie de réviser la situation et d’évaluer s’il ne peut pas y
avoir une autre issue, s’il ne connaît pas un ou une collègue qui ferait des
opérations spéciales, des tentatives hors-normes. Je suis prête à tout essayer.
Je n’ai plus grand-chose à perdre de toute façon. Devant mon insistance, il réfléchit et me
propose d’envoyer mes radios à une collègue doublement spécialisée en oncologie
et en orthopédie à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, Dre Mottar. Ouf! Enfin, je
me sens écoutée. Deux jours plus tard, il m’appelle lui-même à la maison un
soir pour m’informer que sa collègue ne peut, malgré ses grands savoirs, absolument
rien faire pour moi. Il me rapporte textuellement ses mots : « Je ne peux pas
faire de miracle ». Il y a des mots que l’on n’oublie jamais. Moi, je veux
encore croire aux miracles.
Octobre 2018
Je poursuis
mes traitements et j’apprends à vivre en chaise roulante dans ma maison non
adaptée. Je n’ai plus le droit (ni l’envie) du mettre du poids sur ma jambe
droite. Je suis totalement dépendante de mes proches aidants. Je ne peux ni
m’habiller, ni me laver, ni me faire à manger seule. Mes enfants ne
reconnaissent plus leur maman autrefois vive, présente et souriante.
Novembre 2018
On trouve enfin
les bons médicaments pour calmer mes douleurs. Mon moral revient tranquillement
mais pas mon autonomie. J’ai travaillé plus de dix ans auprès des personnes
handicapées physiquement. Je connais les dernières avancées incroyables
réalisées dans le domaine, j’ai vu plusieurs personnes franchir des obstacles insurmontables dans des
situations incroyables. J’ai encore quelques réserves d’espoir et je ne peux
pas me résigner à penser qu’il n’est pas possible de remplacer quelques os par
une prothèse, de coller, de bricoler quelque chose, d’au moins essayer. Je pars
donc à la recherche d’autres spécialistes en oncologie et en orthopédie. J’en
parle à tous les médecins que je croise : mon médecin de famille, mes
cousins, mes amis… Je tombe enfin sur une piste. La Dr Stéphane Gaudry,
spécialisée en gestion de la douleur, est sensible à ma situation. Elle me parle
de deux de ses amis médecins qui tentent parfois des opérations spéciales, qui
sont des "cow-boys" de la médecine, qui sortent du cadre habituel. Le premier
pratique en Colombie-Britannique et l’autre au CHUM.
4 décembre 2019
Je rencontre
un radiologiste-cow-boy au CHUM, Dr
Tomas Moser. Avant même que je puisse lui raconter mon histoire et l’informer
des refus déjà obtenus, il me dit tout calmement, sans hésiter, qu’il peut assurément
m’opérer, que rien n’est impossible et qu’il doit discuter de mon cas avec ses
collègues avant de me confirmer le type d’opération exacte. Mais que je
retrouverai assurément l’usage de mes jambes (!!!). Si je le pouvais, je me
mettrais à genou pour le remercier. Après tant de durs coups, je peine à croire
que la solution à mon problème se trouvait tout près et tout simplement à
quelques kilomètres de chez moi. Que j’aurais pu ne jamais rencontrer cet
homme, ne jamais foncer, ne jamais garder espoir. Martin et moi sommes
terriblement soulagés mais nous refusons de festoyer officiellement avant
d’avoir l’assurance qu’il ne s’agit pas d’une fausse bonne nouvelle. J’attends
le cœur un peu plus léger un deuxième rendez-vous.
17 janvier 2019
Mon dossier
est transféré à un Dr Nicholas Newman, orthopédiste reconnu et fervent
défenseur de l’autonomie des personnes en situation d’handicap. Lorsque je
rencontre cet homme souriant, vif, rassurant, généreux et d’un
professionnalisme incroyable, je suis tout de suite en confiance. Un ange
passe. Il m’annonce qu’il veut/peut/va m’opérer! Que je pourrai assurément
me tenir sur mes deux jambes!! Que j’aurais probablement besoin d’une canne
toute ma vie, mais que je marcherai. Que je pourrai me tenir debout pour
cuisiner, pour brosser les cheveux de ma fille et peut-être même prendre mon
garçon dans mes bras!!! Je sens le miracle me chatouiller les pieds.
27 février 2019
Fraîchement
opérée, après plus de six mois en chaise roulante, je me lève sur mes deux
jambes solidement appuyée sur ma nouvelle hanche droite fixée par de nombreuses
longues vis. Une vente chez Rona selon Dr Newman. ;) Le lendemain, je marche
quelques pas dans ma chambre. Le surlendemain, je traverse le corridor; puis,
tout le département. Je marche à nouveau; je vis mon petit miracle!
Novembre 2019
Après
quelques mois de réadaptation, je marche pratiquement comme avant. J’ai remisé
mon déambulateur et même ma canne récemment. J’ai recommencé à conduire ma
voiture et à rouler à vélo. J’ai repris une portion de ma vie exactement où je
l’avais déposée en septembre 2018. Je soigne tous les jours les nombreuses
métastases qui me rongent, mais je vis, j’avance, je vole. Je sors, je bouge,
je danse avec mes enfants. Et chaque jour, je me remercie intérieurement
d’avoir gardé espoir, pris mon dossier en main, pousser des portes, eu le
courage de poser des questions et la volonté de croire aux miracles. Je ne
saurais oublier de mentionner que j’ai eu la chance d’avoir plein de petits
anges autour de moi (pour faire rouler la maisonnée pendant que je tentais de
remonter la pente), ce qui m’a laissée du temps pour voir à mon dossier médical.
Et je ne cesse de penser aux nombreuses personnes qui n’ont pas cette chance,
qui sont soit seules, soit trop épuisées par la maladie pour trouver les
meilleurs alliés pour les accompagner dans les dédales du réseau de la santé.
Je les invite ainsi que leur proches aidants à garder espoir, à rester maîtres
de leur dossier médical, à émettre leur opinion, à demeurer fiers afin d'être totalement
informés pour trouver le bon chemin, les bons intervenants, les bons soins dans
leur parcours médical.
Vive la dernière goutte d'espoir!
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